La nouvelle Cigale Uzègeoise

Et si vous alliez voir à St. Quentin la Poterie ?

Nous sommes en 1983, exposants au salon des Métiers d’art de Nîmes (qui deviendra plus tard Nimagine). Claire et moi avons pensé que c’était pour nous un excellent moyen de prendre contact avec les métiers d’art locaux : en effet nous venons de passer dix ans dans le Cap Corse, où dans le village de la famille maternelle de Charles, nous avons pratiqué notre métier de potiers.

Mais vivre sur un île n’est pas toujours facile, surtout pour ceux qui bien que fortement attachés à leurs racines, n’y sont pas nés. Culture, traditions, langue, source de tant de conflits, pèsent sur le présent et interrogent l’avenir ; et puis nous nous sentons isolés du monde céramique en pleine ébullition. Bref, nous avons décidé de nous installer dans le Sud de la France… et nous voilà sur notre stand, sans domicile fixe. Trouver une maison et un atelier sont nos préoccupations du moment, et dans cette région du Languedoc que nous ne connaissons pas, nous sommes comme des étrangers où tout nous est inconnu et tout reste à découvrir.

Et si vous alliez voir à St. Quentin la Poterie ? C’est Paul Salmona, compagnon d’une exposante céramiste qui nous parle de St. Quentin la Poterie : un village qui souhaiterait renouer avec la tradition potière qui l’anima des siècles durant.

Nous découvrons Uzès (il nous faudra quelques jours pour nous familiariser avec la géographie de la place aux herbes et pouvoir retrouver chaque fois la bonne sortie !) Un collège, un lycée pour nos deux garçons, tous les commerces, pas trop loin de l’autoroute. Voilà qui nous change de nos montagnes du Cap Corse ! Adopté !

Puis St. Quentin, St. Quentin la Poterie, où à notre grande surprise, il n’y a plus un seul atelier de poterie en activité. Un village aux ruelles étroites, très marqué par sa ruralité ; un marché au cadran pour les asperges et les cerises, une cave coopérative… Et puis le Centre social qui, chose inattendue et extraordinaire, possède une bibliothèque proposant une bonne trentaine de livres … sur la céramique !

Rendez-vous est pris à la mairie où les deux adjointes, Paulette Vazeille et Nicole Bouyala nous confirment la volonté du village de renouer avec son passé potier. Nous sommes les bienvenus, mais il nous faudra trouver un lieu d’accueil par nos propres moyens : tout notre atelier, dont un four de 1m3 qui pèse 3 tonnes est stocké à Istres, chez un grand ami disparu depuis, Marc Feller, bien connu de tous les potiers pour ses recherches sur les fours et sa grande science céramique. Quant à nous, nous logeons chez le frère de Claire à Avignon, tandis que nos deux fils sont chacun à la garde de leurs grands parents …

Période difficile pour toute la famille : six longs mois à courir les agences immobilières, à visiter maisons sur maisons, manière pour le moins originale, mais assez frustrante de découvrir la région ! Bien que disposant d’un peu de moyens, il n’est pas facile déjà à l’époque de trouver une maison assez grande pour la famille et l’atelier.

Finalement, nous nous résignons à l’achat d’un terrain avec un hangar à l’entrée de St. Quentin. Après quelques aménagements nous y installons l’atelier et nous finissons par trouver une location à Uzès. Ouf, nous voilà tous les quatre enfin réunis. Il faudra attendre près de trois ans, et l’aide précieuse de l’architecte Jean-Jacques Johannet pour que le hangar se métamorphose en une maison d’habitation avec l’atelier au rez-de- chaussée. Celui-ci migrera plus tard dans un bâtiment plus spacieux, lorsque nous commencerons la création des vases de jardin et que l’entreprise individuelle s’agrandira.

Nous inaugurons notre installation en novembre 1983 : nous avons demandé au facteur de distribuer une invitation à chacun des habitants du village. A six heures moins dix, le vide absolu et puis une voiture, deux, puis 10 et un quart d’heure plus tard, quasiment tout le village est là ! Le maire, Monsieur Jean a les larmes aux yeux : nous gardons de cette soirée et de ces témoignages spontanés et sincères un souvenir inoubliable, premiers pas céramiques avec St. Quentin.

Car l’avenir va s’annoncer radieux : sous l’impulsion de la municipalité, et grâce au dynamisme contagieux de Nicole Bouyala devenue maire, l’identité céramique du village va se construire très rapidement. Climat- Sud, une boutique de gestion spécialisée « Métiers d’art » a mesuré tout le potentiel présent et, installée sur place elle apportera son savoir faire technique et sa parfaite connaissance de la communication, indispensable pour mener un projet de long terme qui va imprimer sa marque pour de très nombres années.

En juillet 1984 est lancée la première Terralha, marché de potiers, une innovation récente à l’époque : c’est un succès considérable. Le habitants se sont mobilisés pour prêter main forte à la mise en place sous la houlette d’André Ruffier infatigable animateur et organisateur de talent : La foule a envahi les rues du village où 90 potiers et potières venus pour certains de bien loin ont installés leurs stands. Musique, démonstrations, grand repas sur la place, c’est la fête de la céramique, St. Quentin la Poterie vient de reprendre sa place parmi les cités céramiques !

Quant à nous, totalement impliqués dans cette aventure qui nous concerne au premier chef, installés dans le village dont la réputation potière fera vite le tour de France, puis du monde, nous développons notre production. Nous avons découvert l’argile du Rouziganet, argile réfractaire locale, capricieuse et peu plastique, mais dont les couleurs mordorées ravissent nos clients. Vaisselle, pièces de décoration et déjà les citrouilles qui deviennent boites et soupières nous entrainent vers les jardins ! En corse, partout, nous avons vu ces grandes jarres à huiles qui, aujourd’hui, marquent les entrées des belles demeures. Mais comment fabriquer ces énormes pièces ? Sur le tour, nous ne dépassons guère les 50 cm. Un article dans un journal de décoration explique que ces jarres sont toujours faites à Biot avec des cordes ?? Sur l’Annuaire des PTT, nous trouvons le téléphone et Monsieur Auget-Laribet, patron de la poterie éponyme, me propose aussitôt de venir visiter son atelier et de m’expliquer la technique. Peu nombreux sont à l’époque les potiers qui savent se montrer aussi accueillants et n’hésitent pas échanger leur savoir faire. Nous lui en restons toujours infiniment reconnaissants. C’est la révélation : nous allons construire notre propre tour à corde. Pas si simple, mais nous y arrivons enfin. La première pièce est sur le tour – une autre dimension : elle pourrait nous contenir ! J’ai mesuré avec soin les dimensions du four, tenu compte du retrait au séchage. Elle rentre pile…sauf qu’une fois cuite, elle ne passe pas par la porte ! Il faut démonter tout le chambranle pour la voir enfin trôner au milieu du jardin. Nous sommes en 1988, et l’année suivante, nous lançons la construction du nouvel atelier pour accueillir nos toutes nouvelles jarres : pas question de faire un hangar. Encore une fois, notre ami Jean-Jacques Johannet est aux commandes : avec nous il est membre du groupe Terre qui se réunit régulièrement à St. Quentin. Potiers, plasticiens, entreprises, architectes malaxent la terre dans tous ses états : fontaines, ronds-points, aménagements architecturaux, utopies; c’est un laboratoire qui contribuera à de longues amitiés et à la réalisation de beaux projets. Avec son aide, utilisant des produits nés du groupe Terre, nous concevons un bâtiment de 200m2 au mur de briques sur une charpente en bois en partie en auto-construction qui va devenir notre vitrine, notre lieu d’exposition et l’atelier de fabrication animé par 5 à 6 personnes : il faut servir les nombreux clients, grands restaurants, magasins de déco parisiens et nord-américains, hôtels à Mayotte ou en Suède, et bien sûr tous ceux de la région. Le grand four, d’1,5m3 tourne sans arrêt pour livrer à temps toutes les commandes.

Entre temps d’autres ateliers de poterie se sont installés dans le village. Celui de Gigèle Buthod-Garçon qui nous a suivi de peu. Puis avec l’ouverture de la Maison de la Terre et son atelier relais d’autres ont suivi progressivement. Vingt cinq aujourd’hui en 2010 ! Une pensée émue pour Christophe Bonjean et Sophie Combres, céramistes de talents disparus bien trop tôt et qui furent de beaucoup de nos aventures. Enfin, l’installation de la galerie Terra-viva apportera la note juste à l’édifice (Le musée de la Céramique méditerranéenne viendra bien plus tard)

Le village, très fréquenté, vit de plus en plus au rythme de la céramique, scandé par les Terralha qui se poursuivent, toujours mémorables : ainsi, l’invitation de Jean Marais entouré d’une foule immense, le Jardin extraordinaire avec la métamorphose complète de la place de la Liberté recouverte entièrement de plantes, d’arbres et de pots, le thème de la voiture qui donna lieu à une exposition constituée par les pièces spécialement réalisées par chacun des exposants, tellement riche de surprises et de créativité, de liberté plastique, que je regrette toujours qu’elle n’ait duré que le temps d’un week-end ; l’invitation d’Alain Vagh avec le concert sur son piano entièrement recouvert de céramique et son 4X4 Ford Bronco de 300cv lui aussi entièrement recouvert de ses célèbres petits carreaux. Facétieux, il avait, avec l’aide son fils recouvert l’un des piliers de la Halle de carreaux roses, comme un hommage céramique à Joseph Monier, célèbre inventeur saint quentinois du béton armé.

Lors de notre période corse, cherchant à parfaire nos connaissances céramiques, nous avions accumulé les fiches de lectures sur de très nombreux sujets. Et un stage animé par Jean Messein nous avait initié aux arcanes de calcul moléculaire et de la recherche des émaux de grès. Comment gérer cette masse d’information, faire tous ces longs calculs répétitifs et fastidieux ? Nous sommes en 1979, pas encore de calculettes, juste la règle à calcul ! On commence à parler d’ordinateur. La solution ? Après moult rencontres, questions et hésitations, je me décide pour un Goupil 2, le premier ordinateur télématique français. Télématique ? Ce sont les tous débuts du Minitel et j’imagine (avec plus de 20 ans d’avance) que depuis notre Cap Corse, nous allons par la magie des réseaux téléphoniques pouvoir échanger avec les potiers du continent et d’ailleurs : l’utopie toujours comme règle de vie…, mais l’utopie réalisée : pour commencer il faut apprendre la programmation : je serai le premier à écrire entièrement un programme complet de calcul des glaçures et ce, avant les américains, ce qui reste, toute modestie mise à part, une de mes grandes fiertés !

Lorsque nous quittons la Corse, les bases de données n’ont plus de secret pour moi et dans notre ordinateur sommeille un service complet nommé Palissy. Avec l’aide des pouvoirs publics que je contacte peu après notre arrivée à St. Quentin, il fonctionnera pendant près de quatre ans sur Minitel, mettant à la disposition des céramistes français, outre le calcul des glaçures, des annuaires professionnels, une bibliographie, un système d’échange d’information, bref un ensemble de services. Mais pour le monde potier, plus légitimement attaché à l’argile qu’aux nouvelles technologies, j’apparais un peu comme un martien… Palissy n’a pas brûlé mes meubles, mais faute de combattants suffisants, nous le remettons dans ses cartons.

Nous avons gagné une familiarité avec l’informatique qui reste très présente comme outil de notre vie professionnelle : impression de notre premier catalogue, traçage des profils du tour à corde, et bien entendu gestion et comptabilité.

Quand naît internet, j’ai tôt fait de m’y intéresser et en 1997, ayant déposé le nom de domaine ceramique.com, il suffit de reprendre la structure de Palissy pour lancer ImagineCeramic et son site web ceramique.com, dont, cette fois le succès est immédiat, particulièrement avec la création de la librairie spécialisée qui révèle rapidement des dizaines d’ouvrages dont l’accès à l’époque n’était pas si simple.

Que dire après ces 27 ans à St. Quentin la Poterie ?

D’abord un peu de nostalgie d’un temps révolu. Que la réussite de ce grand projet autour de la poterie, nous le devons en grande partie à Nicole Bouyala et son infatigable investissement pour le conduire, à tous les acteurs encore présents, à tous ceux qui nous ont accompagnés sans compter dans cette aventure exaltante, mais aussi à l’originalité de la démarche qui a contribué à accompagner par des actions périphériques l’installation des potiers: aucune prime, chacun devant trouver à s’installer par ses propres moyens, mais sûr de trouver dans un village vivant, où expositions, manifestations, tout contribue en permanence à focaliser l’attention du monde sur l’excellence de la céramique qu’il héberge: nombreux sont les échecs patents où l’argent public a subventionné en vain des installations faisant, au pire, de leurs bénéficiaires des assistés toujours tributaires de ceux qui les avaient démarchés.

Après trois décennies au « paradis » des potiers, l’aventure continue avec l’Office Culturel, le Parcours Céramique, nouveau visage de Terralha, les nombreux collègues de l’Association des potiers, le dynamisme toujours renouvelé d’un village accueillant, le festival de l’Accordéon et l’ouverture à la musique et aussi notre implication professionnelle avec Ateliers d’Art de France et le Collectif national des potiers, que demander de plus ?

Merci à Paul Salmona pour son judicieux conseil !

Claire et Charles Eissautier – Paru dans la Nouvelle cigale uzègeoise, août 2010